
Le droit du travail français impose aux employeurs des obligations strictes en matière de formation et de reconversion professionnelle des salariés. Ces dispositions visent à maintenir l’employabilité des travailleurs face aux évolutions technologiques et économiques. Pour les entreprises, il s’agit à la fois d’une contrainte réglementaire et d’un investissement stratégique dans leur capital humain. Cet enjeu est devenu central dans un contexte de mutations rapides du marché du travail et de la nécessité d’adapter en permanence les compétences. Quelles sont précisément ces obligations légales ? Comment les entreprises peuvent-elles y répondre de manière efficace ?
Le cadre juridique de la formation professionnelle en entreprise
Le Code du travail définit un ensemble d’obligations pour les employeurs en matière de formation professionnelle continue. L’article L6321-1 stipule que « l’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail » et veille « au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations ». Cette obligation générale se décline en plusieurs dispositifs concrets :
- Le plan de développement des compétences, qui regroupe l’ensemble des actions de formation à l’initiative de l’employeur
- L’entretien professionnel obligatoire tous les deux ans
- Le compte personnel de formation (CPF) que l’employeur peut abonder
- Les périodes de professionnalisation pour les salariés en poste
La loi du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » a renforcé ces obligations, notamment en réformant le financement de la formation professionnelle. Les entreprises doivent désormais verser une contribution unique à la formation professionnelle et à l’alternance, collectée par les URSSAF.
Par ailleurs, des dispositions spécifiques s’appliquent selon la taille de l’entreprise. Les sociétés de plus de 50 salariés sont soumises à des obligations renforcées, comme la mise en place d’un plan de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Les TPE et PME bénéficient quant à elles d’aides spécifiques pour mettre en œuvre leurs actions de formation.
Le non-respect de ces obligations expose l’employeur à des sanctions, pouvant aller jusqu’à des pénalités financières et des poursuites pénales dans les cas les plus graves. Il est donc fondamental pour les entreprises de bien maîtriser ce cadre juridique complexe et évolutif.
L’adaptation des salariés à leur poste de travail : une responsabilité permanente
L’obligation d’adaptation au poste de travail constitue le socle des responsabilités de l’employeur en matière de formation. Elle découle directement du contrat de travail et s’applique tout au long de la relation de travail. Concrètement, cela signifie que l’entreprise doit :
- Former le salarié lors de son embauche aux spécificités de son poste
- Assurer une formation continue pour maintenir ses compétences à jour
- Anticiper les évolutions du poste et former en conséquence
Cette obligation s’étend à tous les aspects du poste : techniques, organisationnels, sécuritaires, etc. Par exemple, si une entreprise adopte un nouveau logiciel de gestion, elle devra former l’ensemble des utilisateurs à son utilisation. De même, l’introduction de nouvelles normes de sécurité implique une formation obligatoire des salariés concernés.
L’adaptation au poste ne se limite pas aux seules compétences techniques. Elle inclut également les soft skills nécessaires à l’exercice des fonctions : communication, travail en équipe, gestion du stress, etc. Ces compétences transversales sont de plus en plus valorisées sur le marché du travail.
Pour répondre à cette obligation, les entreprises disposent de plusieurs outils :
- Les formations en présentiel, internes ou externes
- Le e-learning et les formations à distance
- Le tutorat et le mentorat
- Les mises en situation professionnelle
Le choix des modalités de formation doit être adapté aux besoins spécifiques de chaque poste et de chaque salarié. Une analyse fine des besoins en compétences est donc nécessaire pour concevoir un plan de formation efficace.
En cas de contentieux, les tribunaux examinent avec attention les efforts réalisés par l’employeur pour adapter les salariés à leur poste. Une carence dans ce domaine peut être qualifiée de manquement à l’obligation de formation et entraîner la condamnation de l’entreprise, notamment en cas de licenciement pour insuffisance professionnelle.
Le maintien de l’employabilité : un défi face aux mutations du travail
Au-delà de l’adaptation au poste actuel, l’employeur a l’obligation de veiller au maintien de l’employabilité de ses salariés. Cette notion, plus large, vise à préserver la capacité du salarié à occuper un emploi, dans son entreprise ou ailleurs, face aux évolutions du marché du travail.
Cette obligation prend tout son sens dans un contexte de mutations rapides de l’économie et des métiers. La digitalisation, l’automatisation, ou encore la transition écologique transforment en profondeur de nombreux secteurs d’activité. Des métiers disparaissent tandis que d’autres émergent, nécessitant de nouvelles compétences.
Pour répondre à ce défi, les entreprises doivent mettre en place une véritable stratégie de gestion des compétences à long terme. Cela passe par :
- Une veille sur les évolutions des métiers et des compétences dans leur secteur
- L’identification des compétences clés pour l’avenir de l’entreprise
- La mise en place de parcours de formation permettant aux salariés d’acquérir ces compétences
- L’accompagnement des reconversions professionnelles internes
Les entretiens professionnels jouent un rôle central dans cette démarche. Obligatoires tous les deux ans, ils permettent de faire le point sur le parcours professionnel du salarié et d’envisager ses perspectives d’évolution. C’est l’occasion d’identifier les besoins en formation et de construire un projet professionnel cohérent.
Le bilan de compétences est un autre outil précieux pour maintenir l’employabilité. Il permet au salarié de faire le point sur ses compétences, ses motivations et ses possibilités d’évolution professionnelle. L’employeur peut proposer un bilan de compétences dans le cadre du plan de développement des compétences, mais le salarié peut aussi en faire la demande de sa propre initiative.
Enfin, la validation des acquis de l’expérience (VAE) offre la possibilité aux salariés de faire reconnaître officiellement les compétences acquises au cours de leur carrière. L’employeur a l’obligation d’informer ses salariés sur ce dispositif et peut l’intégrer dans sa politique de gestion des compétences.
La reconversion professionnelle : accompagner les transitions
Face à certaines mutations profondes, la simple adaptation des compétences ne suffit pas toujours. La reconversion professionnelle devient alors nécessaire, que ce soit au sein de l’entreprise ou vers un autre secteur d’activité. Si elle relève souvent de l’initiative du salarié, l’employeur a néanmoins des obligations en la matière.
En cas de menace sur l’emploi, l’entreprise doit proposer des solutions de reconversion interne. Cela peut prendre la forme de :
- Formations longues qualifiantes ou certifiantes
- Périodes de mise en situation dans d’autres services
- Accompagnement personnalisé pour construire un nouveau projet professionnel
Ces actions peuvent s’inscrire dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) pour les entreprises de plus de 50 salariés envisageant des licenciements économiques. Le PSE doit obligatoirement prévoir des mesures de reclassement interne et externe, incluant des actions de formation et de reconversion.
Même en l’absence de menace directe sur l’emploi, l’employeur a intérêt à favoriser les reconversions internes pour s’adapter aux évolutions de son activité. Cela permet de conserver les talents et les compétences au sein de l’entreprise, tout en répondant aux aspirations d’évolution des salariés.
Pour les reconversions externes, l’employeur peut mobiliser plusieurs dispositifs :
- Le congé de reclassement pour les entreprises de plus de 1000 salariés
- Le contrat de sécurisation professionnelle (CSP) pour les entreprises de moins de 1000 salariés
- Le congé de mobilité dans le cadre d’un accord GPEC
Ces dispositifs permettent au salarié de bénéficier d’un accompagnement renforcé et de formations pour préparer sa reconversion, tout en conservant une partie de sa rémunération.
L’employeur peut également encourager l’utilisation du compte personnel de formation (CPF) pour financer des projets de reconversion. Depuis la réforme de 2018, le CPF peut être mobilisé pour des formations longues, y compris pendant le temps de travail avec l’accord de l’employeur.
Vers une approche stratégique de la formation et de la reconversion
Pour répondre efficacement à leurs obligations légales tout en tirant parti des opportunités offertes par la formation, les entreprises doivent adopter une approche stratégique de la gestion des compétences. Cela implique de :
- Intégrer la formation dans la stratégie globale de l’entreprise
- Anticiper les besoins en compétences à moyen et long terme
- Impliquer l’ensemble des acteurs : direction, managers, RH, salariés
- Mesurer l’impact des actions de formation sur la performance de l’entreprise
Cette approche permet de dépasser la simple conformité réglementaire pour faire de la formation un véritable levier de compétitivité. Elle nécessite cependant une transformation en profondeur de la culture d’entreprise, plaçant l’apprentissage continu au cœur de l’organisation.
Les nouvelles technologies offrent de nombreuses opportunités pour optimiser les processus de formation et de reconversion. Le big data et l’intelligence artificielle permettent par exemple d’analyser finement les besoins en compétences et de personnaliser les parcours de formation. Les outils de réalité virtuelle ou augmentée ouvrent de nouvelles possibilités pour la formation pratique, notamment dans les métiers techniques.
L’innovation pédagogique est également un enjeu majeur. Les méthodes traditionnelles de formation montrent leurs limites face aux nouveaux modes d’apprentissage des générations Y et Z. Les entreprises doivent expérimenter de nouvelles approches : mobile learning, social learning, gamification, etc.
Enfin, la collaboration avec l’écosystème externe devient indispensable. Les partenariats avec les organismes de formation, les universités, les start-ups de l’edtech permettent d’enrichir l’offre de formation et d’accéder à des expertises pointues. Les OPCO (opérateurs de compétences) jouent également un rôle clé dans l’accompagnement des entreprises, en particulier des TPE-PME, dans la mise en œuvre de leur politique de formation.
En définitive, les obligations légales en matière de formation et de reconversion constituent une opportunité pour les entreprises de repenser en profondeur leur gestion des compétences. Celles qui sauront relever ce défi en feront un avantage compétitif majeur dans un environnement économique en mutation permanente.